Presse

Sur Dominique Preschez…

On est mardi. Je donne ma journée hebdomadaire de cours au Conservatoire International de Musique de Paris et profite de l’absence d’un élève pour travailler les préludes d’Henri Sauguet. Quelqu’un rentre dans ma salle :
Ah ! Magnifique ! L’école de Paris ! A la guitare en plus ! Vous préparez quelque chose ?
Je suis surpris ! La musique que je joue lui semble familière. C’est le professeur de composition qui travaille dans la salle d’à côté. Je l’entends souvent jouer de folles transcriptions d’œuvres symphoniques qu’il paraît improviser. Je commence à lui parler de mon projet discographique à venir. Il me répond :
Savez-vous que j’ai eu la chance d’étudier auprès d’Henri Sauguet ? Je l’ai rencontré par hasard sur une place en Grèce. Je l’ai reconnu et suis passé à côté de lui en sifflotant l’Air des Forains. Nous avons fait connaissance comme ça. J’ai intégré son cercle et rencontré beaucoup de gens grâce à lui. Les anecdotes se succèdent.
On y croise Jean Wiener, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre, Noël Lee, Jean-Louis Florentz… J’écoute et savoure. Le monde que j’imagine et que je fantasme par le biais de la littérature spécialisée et des partitions met un pied dans ma salle au conservatoire. Depuis ce jour-là, avec Dominique Preschez, nous sommes amis. Sa musique ne peut se définir par un mélange d’influences. C’est une musique-monde. Musique méta-tonale où l’on fuit le dogme sans se l’interdire. On y reconnaît certains paysages, mais on les voit avec un éclairage et un point de vue auxquels on n’avait pas accès jusqu’alors. Son œuvre littéraire est marquée par la même hauteur de vue. Une musique lettrée, une prose musicale et la poésie à tous les étages.
Lorsqu’il évoque ses maîtres, Dominique parle d’accueil chaleureux, d’affinités électives. La cité permet les rencontres. Nos désirs finissent un jour ou l’autre par se projeter dans le réel. Parfois en douceur, parfois soudainement, brutalement :
Quand je suis arrivé à Paris en 1975, mon père m’avait loué un studio sans piano. Je me mets à la recherche d’un endroit pour travailler et un ami m’indique une splendide demeure à Saint-Germain -en-Laye, avec quelques pianos dont un piano forte sur lequel Mozart avait composé. Je vais dans cet endroit merveilleux, je commence à travailler sur un des pianos. Puis, j’entends frapper à la porte, un homme élégant entre dans la pièce, nous commençons à échanger quelques mots, et je réalise que j’ai devant moi Benjamin Britten !

Sébastien Llinares

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POUR DOMINIQUE PRESCHEZ
Andrée CHEDID, 19 décembre 2000

Texte initialement publié dans La lettre des Amis de l’orgue de Deauville, en janvier 2001

J’ai rencontré, il y a quelques années, le poète Dominique Preschez et ses mots clairvoyants. J’ai connu l’ami, attentif, généreux.
Aujourd’hui – bien que rien ne m’autorise à parler de musique — je découvre le compositeur.
J’écoute cette Deauville Symphonie et il me semble soudain que mon souffle s’accroît. J’écris à la suite, des mots qui viennent spontanément sous ma plume ; ceux-ci me parlent d’intensité souterraine, de profondeurs sondées et d’étincelles heureuses.
Je ressens, à cette écoute, la passion du tumulte des fleuves, en même temps que la découverte des sources. J’y trouve l’abondance, la luxuriance des forêts : mais aussi la délicatesse de la fleur en chacun de ses pétales.
Je m’y promène dans le présent, ce temps proche, contemporain et, à la même seconde, me voici au-delà des temps, à la racine d’un chant universel.
Je n’ai ni la compétence, ni le savoir musical qui me permettraient d’analyser cette oeuvre ; mais en l’écoutant il m’a semblé dépister quelques éclairs sur l’énigme de la Vie ; il m’a semblé apprendre à confronter ses aubes et ses nuits, ses soleils comme ses crépuscules.
De plus, j’ai senti que cette musique me disposait à mieux saisir cette Vie qui palpite à l’intérieur de chacun ; à mieux prêter l’oreille à cette humanité que nous efforçons de faire émerger de l’obscur.
Même s’il n’y a pas de but, cette musique-là est un ardent et lumineux chemin.

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PASSION À VISAGE D’HOMME
de Dominique Preschez

Didier Lockwood

« Éclats », Festival de la voix au Pays de Dieulefit
17 septembre 2004

Lors du concert proposé par le festival « Éclats » de Dieulefit, j’ai été envoûté par la magnifique pièce de Dominique Preschez. L’écoute de l’enregistrement de ce concert a confirmé l’impression première.
Passion à visage d’homme est, au-delà de sa modernité, une oeuvre émotionnelle, puissante qui met en lumière l’immense talent du compositeur. Écrit sur mesure pour la voix de Caroline Casadesus, Passion à visage d’homme conjugue lyrisme et esthétisme. La voix de la soprano s’exprime dans toute sa chaleur et ses couleurs célestes… Il faut souligner la profondeur poétique de l’écriture d’Harold David qui donne un texte vibrant et dramatique. L’ensemble, soutenu par le très solide Nouvel Orchestre de Chambre de Rouen, sous la brillante baguette du très inspiré jeune chef d’orchestre Joachim Leroux.
Dominique Preschez nous donne une pièce d’une incroyable densité dans laquelle il semble se livrer tout entier à la limite du sacrifice, inscrivant son oeuvre au sein des incontournables du répertoire contemporain.

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Soleils noirs
Dominique Preschez

Richard Millet
ADPF n° 24, mars 2006

Dominique Preschez a d’abord été écrivain. Héritée de Ives, Bartok, Hindemith, Milhaud, sa musique est habitée par la littérature, non seulement parce qu’elle donne voix à des textes littéraires, mais parce que la littérature n’a pour lui rien d’un prétexte.
C’est, bien au contraire, une manière de conjuguer deux visions du monde pour les porter à ce point où la signification est transfigurée, débouchant sur la pure célébration, que ce soit dans la pièce pour piano, Le Naufrage du Deutschland, d’après Hopkins, interprétée par le compositeur, dans Lunapark pour orchestre à cordes (le Nouvel Orchestre de chambre de Rouen), hommage au Pasolini des ragazzi, petits voyous qui peuplent ses films et ses écrits, dans Passion à visage d’homme, monologue pour voix et orchestre, chanté ici par la soprano Caroline Casadesus sur des textes d’Harold David qui réinventent la passion christique en un homme contemporain cloué sur un lit d’hôpital. Dans Santa Maria, l’orchestre à cordes suggère avec lyrisme une scène maritime aperçue par le compositeur à Honfleur : musique plus évocatrice que descriptive, et tout à fait heureuse. Avec Passion à visage d’homme, l’oeuvre la plus ambitieuse est Quatuor nomade magnifiquement interprétée par le quatuor Via Nova : 4 mouvements qui, pour ce genre si redouté des compositeurs depuis Beethoven, s’inscrivent dans une tradition avec laquelle elle joue, rendant hommage à certains prédécesseurs (notamment Kurtag, Ligeti), et déployant tout un monde intérieur, tour à tour heurté, méditatif, lumineux.